The Office – Jeudi Geneva, Switzerland
Exhibition viewsInstructed by Wesley Meuris
Jeudi, Geneva, Switzerland
Photo: Baptiste Coulon
Thanks to: Camille Besson, Vianney Fivel, Luca Guizzo, Christophe Khim, Aurélien Martin & Maxime Testu
On trouve la première occurrence de la FEAK (Foundation for Exhibiting Art and Knowledge) dans un livre qui lui est consacré, publié en 2012 sous la direction de Wesley Meuris aux éditions ABL. Avec ce livre, une institution dont l’existence avait jusqu’alors été tenue secrète accède à la visibilité publique. Sa vocation est simple, elle se consacre depuis plus de cinquante ans au développement de modèles et de formats d’expositions pour les foires, les galeries, les musées, mais aussi les institutions scientifiques. « Spécialiste mondial dans le développement de concepts d’expositions réussis et de connaissances connexes », cette fondation s’accorde des missions pédagogiques, et comme guide et comme éducatrice du public, et préconise « l’institutionnalisation » comme moyen pour parvenir à ces fins. « Contrôler et institutionnaliser le monde de l’art », mais aussi contrôler et institutionnaliser, à travers la modélisation des expositions, le regard que l’on porte sur les œuvres d’art comme le discours que l’on tient sur elles. Entre le secret qui préside à son invisibilité et son travail entièrement gouverné par la prévisibilité, c’est toute la problématique du visible – de ce que l’on peut voir et/ou de ce que l’on doit voir – qui est mise en exergue par le projet de la fondation.
Si l’invisibilité, entendue comme dissimulation, est sans doute la condition posée à cet objectif de manipulation des regards, dans un nouage que l’on pourra rapporter à beaucoup d’œuvres policières ou de science fiction, la prévisibilité, qui cherche à anticiper ce que le regard doit voir, renvoie à une méthodologie reposant en grande partie sur l’indexation et sur l’étude statistique, dans le report pour la science de l’exposition de protocoles issus de l’archivage botanique et des sciences économiques. Car pour produire les cadres de cette « réussite » et de ces « connaissances », il faut l’efficience d’une science objective. Cette dernière se concentre sur le paratexte des expositions : le display, ou les manières de présenter les œuvres, les vitrines, les socles et les éclairages, l’architecture des salles, la rédaction des affiches et des cartels… La production de la prévisibilité entendue comme science de l’anticipation, met les œuvres en annexe, selon une logique qui, menée jusqu’à son terme, les rend inutiles.
Ce que montre la fondation du travail porté par cette logique tient en seul un mot d’ordre : il n’y a rien d’autre à voir que le prévisible. Ce qui, en termes d’exposition de ses productions, se traduit, d’une part, dans des diagrammes, des listes et des schémas qui classent, répertorient et mettent en puissance des données, pour fabriquer des modèles d’exposition. Mais aussi dans des expositions qui, comme dans les salons professionnels, exhibent des objets prototypes et des modèles (affiches, vitrines, etc.), fonctionnant comme des effets d’annonce de ce que l’on pourrait voir, accordant dès lors une toute autre portée à la prévisibilité. Prévoir signifie, en ce second sens, voir en partie, dans une opération qui nécessite de compléter ce que l’on voit par les potentialités de ce que l’on pourrait voir. Le regard reprend ici possession du visible, que ce soit en regardant les cases vides d’un meuble d’archives recensant les artistes les plus célèbres au monde (The World’s Most Famous Artists), comme les impeccables présentoirs, vides aussi, destinés à la présentation d’objets ethnographiques.
On peut exposer le vide, pour peu qu’il devienne un objet en soi, mais on ne peut exposer le prévisible qu’en extension des supports qui portent le regard. Dans le dispositif à double fond qui encadre le travail de Wesley Meuris, où prévoir est un objectif de contrôle et un exercice du regard, le spectateur est pris en étau entre le devoir de voir et le pouvoir de voir. Ainsi se conjuguent, chez l’artiste, dissimulation et exposition, au conditionnel, qui est le temps de l’illusion et celui de l’hypothèse.
La Feak présentera à Genève son bureau, Feak Office, du 19 mars au 19 avril, à l’espace Jeudi, 25, rue des Rois.